Le chercheur américain d’origine tunisienne est convaincu qu’il n’y a pas « incompatibilité » entre Islam et démocratie. Radwan Masmoudi, président de l’Association « Islam et Démocratie » estime que le modèle iranien en la matière est un échec. C’est pourquoi il invite les gens à regarder plutôt le modèle turc qui est un exemple de réussite dans l’alliage entre islam et démocratie. Dans l’entretien qu’il a accordé à Opinion Internationale, il revient sur la situation des pays qui ont vécu le printemps arabe, sur les relations entre les États-Unis et ces pays en les mettant en perspective.
OI : Après le 11 septembre, les USA ont lancé un vaste programme anti-terroriste en collaboration avec les dictatures du monde arabe. Depuis 2006, un minutieux programme a été lancé pour l’intégration de la mouvance islamiste dans le champ politique de la zone. Comment expliquez-vous ce changement radical dans la stratégie USA dans la région ?
Radwan Masmoudi : Je pense que dans la période entre 2001 et 2004, les États-Unis ont étudié très profondément les raisons sociales, politiques et économiques du terrorisme et ont trouvé que les régimes corrompus et oppressifs, sont une des raisons essentielles de ce phénomène. Les citoyens arabes, et surtout les jeunes qui représentent plus de 50% de la population, étaient en train de perdre espoir pour pouvoir améliorer leurs situations par la voie pacifique, et un nombre grandissant d’entre eux voyait que la violence était la seule solution. Aussi, les États-Unis ont-ils réalisé que l’aide qu’ils apportaient à ces régimes oppressifs étaient une cause pour la “haine” que portaient beaucoup de citoyens Arabes et surtout les jeunes envers les États-Unis. Donc, les Américains ont décidé de la nécessité de changer leur politique envers ces régimes et de leurs demander – à commencer par les régimes alliés et proches des USA – d’implanter de sérieuses reformes politiques, économiques et sociales . Chose que ces régimes ont fait semblant de faire entre 2004 et 2006, mais ont décidé soudainement de stopper vers 2006, après le succès électoral du Hamas à Gaza et des frères musulmans en Égypte.
Pensez-vous que les intérêts américains coïncident réellement avec la démocratisation du monde arabe sans une intégration d’ Israël dans cette région ?
Oui, une démocratisation réelle dans le monde arabe est principalement dans l’ intérêt de la région mais aussi dans l’ intérêt de l’Europe et des États Unis, parce que c’est la seule solution capable de résoudre les problèmes réels et grandissants des peuples et des sociétés arabes. Les peuples arabes, et surtout les jeunes, ne pourront pas accepter de vivre comme des “sujets”, sans aucun droit, dans leurs pays. Bien sûr qu’il faut aussi résoudre le problème palestinien et le conflit entre Israël et le monde arabe. Je pense que la démocratie pourra aussi aider à trouver une paix juste et durable entre les deux peuples. Ainsi Les États Unis seront aussi dans l’obligation de devenir plus équilibrés dans leur relations avec Israël et avec les Palestiniens pour pouvoir faciliter et encourager une solution pacifique à ce conflit qui a trop duré. Les régimes dictatoriaux n’ont pas pu ou n’ont pas voulu bâtir la paix parce que la guerre permanente servait comme couverture à leurs échecs permanents dans tous les domaines.
L’arrivée au pouvoir des islamistes dans les pays du printemps arabe est-elle le produit d’un hasard ?
Après le désert démocratique et politique que nous avons traversé dans le monde arabe pendant les 30 dernières années, c’est tout a fait normal que les mouvements de l’Islam politique soient les plus populaires et les plus organisés, parce qu’ils jouissent de deux atouts essentiels : le respect de la religion et des valeurs religieuses et le network des mosquées qui existent presque partout dans le monde. Aussi, les mouvements et partis politiques classiques ont commis une erreur très grave qui est celle d’avoir sous-estimé l’importance de la religion en général dans le monde entier, mais en particulier dans le monde arabe. Dans les pays arabes, l’Islam a toujours été important et formait un pilier essentiel de l’identité et de la culture arabe, mais ce rôle est devenu beaucoup plus important dans les 30 dernières années. Lorsque l’être humain passe par une crise sérieuse ou profonde, il se tourne toujours vers Dieu et vers la religion.
Les récentes déclarations du président Obama et de Mme Clinton laissent entendre l’existence d’une certaine révision de la politique américaine après les attaques contre les ambassades américaines et le dérapage salafiste. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que les Américains ont des doutes sur le fait que les partis islamiques, maintenant au pouvoir en Tunisie, en Libye, ou en Égypte, soient vraiment capables d’instaurer de vraies démocraties dans leurs pays ou de respecter les droits de l’Homme. Mais les États-Unis sont convaincus qu’on ne peut pas bâtir des démocraties tout en excluant les Islamistes qui représentent entre 30 et 40% de la population. Donc, on est dans l’obligation d’accepter leur participation dans la vie politique de leurs pays, tout en gardant un œil vigilante. Si les partis islamistes ne tiennent pas leurs promesses pré-révolutionnaires et pré-électorales, ils perdront les prochaines élections. C’est comme ça que la démocratie fonctionne. Il n’y a pas de garantie que toutes les décisions seront bonnes, mais il y a un mécanisme d’auto-correction et de redressement. Les Américains ont été énormément choqués par la violence des attaques sur les ambassades et demandent de fermeté contre les groupes et les partis ultra-conservateurs (salafistes) qui prônent la violence. Les mouvements islamistes modernistes et modérés doivent se distinguer très clairement des mouvements salafistes (surtout violents) s’ils veulent continuer à avoir de bonnes relations avec l’Europe ou les États-Unis. C’est à eux de choisir le chemin qu’ils veulent mener, et c’est aux peuples de voter pour ou contre ces choix. Je ne crois pas du tout que le peuple tunisien va choisir le chemin de l’intolérance ou de la violence.
Le Bahreïn est passé par une zone de turbulence aussi violente que celle qui avait balayé les anciens régimes dans la région. Mais la rébellion n’a pourtant eu aucun appui américain ou international. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Les États-Unis ont commis une grave erreur en ne supportant pas les demandes démocratiques et pacifiques du peuple du Bahreïn. La peur d’un Iran grandissant, en puissance et influence régionale, a effrayé les États Unis, surtout que l’Iran a essayé de supporter la révolution au Bahreïn. Ce même Iran, qui continue de supporter le régime meurtrier de Bachar el-Assad en Syrie qui a tué plus de 35.000 Syriens, n’est pas en position de critiquer le régime du Bahreïn pour les 40 ou 50 personnes qui ont été tuées pendant l’année dernière au Bahreïn. Cependant, j’aurais préféré que les États-Unis soient plus compréhensifs envers les demandes légitimes du peuple de Bahreïn .
Le Qatar semble jouir d’un appui américain sans limites. Est-ce que ce pays est, selon vous, une référence de démocratie ?
Le Qatar n’est pas un modèle de démocratie dans le monde arabe. C’est un tout petit pays de 250. 000 citoyens, qui a énormément de ressources financières pour garantir la belle vie à tous ses citoyens. D’ici dix a vingt ans, les peuples du pays du Golfe seront en position de demander les mêmes droits humains et démocratiques dont jouissent les autres pays arabes. Les régimes de ces pays seront obligés de faire des réformes politiques et sociales réelles
Vous êtes connu pour votre lecture faisant l’adéquation entre l’islam et la démocratie. Où classez-vous l’Iran et les monarchies du golfe ?
Effectivement, je suis convaincu qu’il n’y a aucune incompatibilité ou conflit entre l’Islam et la démocratie. Mais les pays arabes et musulmans ne sont pas tous prêts pour la démocratie pour des raisons politiques économiques, sociales, ou même militaires, qui n’ont rien à voir avec la religion. L’Iran est un mauvais exemple et un échec total dans l’application des principes et valeurs démocratiques bien que c’ était une des demandes principales de la révolution iranienne. cela a coûté 25 ans de retard pour l’Iran mais aussi pour les autres pays arabes et musulmans qui cherchaient un bon modèle à suivre. Heureusement pour nous tous, l’expérience de l’AKP en Turquie est venue au bon moment pour montrer un autre chemin pour les mouvements islamiques modérés qui veulent conserver leur identité et leurs valeurs islamiques tout en rejoignant le rang des pays développés et démocratiques. La Turquie a démontré qu’il était possible d’être musulman et démocratique en même temps, et que les musulmans ne sont pas obligés de choisir entre l’Islam et la démocratie ou entre l’Islam et la modernité. Je pense que c’est le modèle turque qui va être beaucoup plus intéressant et prometteur pour le futur du monde arabe, et non pas le modèle iranien.
Propos recueillis par Mondher THABET